Des origines au Moyen Age

Tous les instruments à cordes sont issus de l’arc musical primitif : une corde tendue sur un morceau de bois souple. Il est éventuellement muni d’un résonateur réalisé à partir d’éléments simples (une calebasse, une carapace d’animal.). Par la suite, ils se sont, selon les cas, munis de dispositifs complexes ou ont vu leur nombre de cordes croître parfois jusqu’à la démesure.

La direction prise par nos instruments à cordes pincées a été celle de l’adjonction d’un manche permettant de modifier, par pression des doigts, la hauteur du son. On retrouve déjà des instruments construits selon ce principe dans des civilisations très anciennes, chez les Hittites, les Mésopotamiens ou encore les Egyptiens. L’étymologie même du mot guitare confirme cet archaïsme : il provient du grec kithara, lui-même probablement issu du perse kitàr (ki = trois, tàr = cordes).

Bien que les documents musicaux dont l’interprétation ne soit pas sujette à conjecture n’apparaissent réellement qu’avec l’émergence d’une littérature instrumentale aux XVe et XVIe siècles, les passionnés trouveront çà et là matière à leur curiosité.
Ainsi, au Moyen-Age, on trouve deux types de guitare : la guitare mauresque et la guitare latine que les enluminures des « Cantigas de Santa Maria » (Espagne, XIIIes) célèbrent avec faste. Il n’est d’ailleurs pas certain que leur appellation soit en stricte concordance avec leur origine géographique ou culturelle.

On peut cependant observer que la forme de la guitare latine est proche de celle de la guitare actuelle et celle de la guitare mauresque du luth. On dispose donc, dès cette époque, des archétypes des deux principaux représentants de la famille des cordes pincées qui se maintiendront parallèlement jusqu’au XVIIIe siècle et dont une seule famille se maintiendra en définitive, celle de la guitare.

Guitares latine et mauresque – Cantigas de Santa Maria, XIIIème siècle

Guitare mauresque – Cantigas de Santa Maria – XIII°s.

LA RENAISSANCE, 16e siècle

Cette période marque le début du développement de la musique instrumentale; avant la fin du XVIe siècle, toute la musique n’est écrite qu’à l’intention de la voix. L’instrument n’a donc qu’une fonction ornementale (introduction ou improvisation), de doublure ou de remplacement des voix ou un rôle utilitaire pour la danse. La Renaissance voit aussi naître l’imprimerie musicale. Parmi les premières publications imprimées de Petrucci à Venise, figure un recueil de tablatures pour orgue et luth.

Globalement, deux instruments savants se disputeront les faveurs des musiciens : la vihuela en Espagne (et dans les colonies) et le luth partout ailleurs. La guitare renaissance fait une apparition plus timide, bien qu’elle soit associée aux répertoires de ces illustres congénères.

La vihuela

Vihuela – Reconstitution, Ian Harwood, Axonia, 1959 – face – CM

Rejetant le luth parce que lié culturellement à la civilisation arabe (en 1492, l’Espagne achevait de reconquérir ses terres aux Maures), les Espagnols utilisèrent un instrument aux possibilités techniques comparables, mais dons la caisse de résonance est en forme de 8 (comme celle de la guitare renaissance, voir plus loin). Elle possédait 6 chœurs (= cordes doubles) accordées par quartes sauf une tierce majeure entre le 2° et 3° chœur.
Si l’on prend l’accord en sol (très courant à l’époque), on obtient sol-ré-la-fa-do-sol. En mi (base de l’accord de la guitare moderne), on obtient donc mi-si-fa#-ré-la-mi qui, à une corde près, est identique à celui de la guitare actuelle, ce qui rend l’exécution du répertoire possible sur la guitare moderne.

Cet instrument a été un puissant moyen d’expression de la culture espagnole au Siècle d’Or (XVIe) et a connu une expansion vers les territoires conquis à cette époque, ce qui explique peut-être la faveur dont jouit encore la guitare en Amérique du sud.
L’importance de la vie courtisane et la richesse de l’Espagne en cette période ont débouché sur la publication d’une série de recueils qui sont le point de départ de la littérature originale pour les cordes pincées. Luys Milan, Luys de Narvaez, Alonso Mudarra et deux musiciens aveugles Miguel de Fuenllana (vihuéliste lui-même) et l’organiste de Cabezon.

Le luth renaissance

Luth renaissance

Dans les autres pays occidentaux, l’instrument savant de référence est le luth. Il a les mêmes caractéristiques instrumentales (nombre de chœurs et accord). Comme les violes ou les flûtes à bec, on en trouvait de différentes dimensions. Son accord est similaire à celui de la vihuela espagnole, ce qui autorise les échanges de répertoires entre les instruments.
On dit d’ailleurs que Francesco da Milano était aussi habile sur la viola da mano (vihuela en espanol) que sur le luth, son instrument principal.
Diverses traditions constituent le corpus particulier du luth Renaissance : les Italiens Capirolo, da Milano, Molinara, negri, da Parma, les Allemands Jundenkünig et Newsidler, les français Attaignant, Leroy, Besard… La liste serait cruellement incomplète si l’on ne mentionnait aussi les compositeurs élisabéthains Dowland, Holborne, Cutting qui firent les beaux soirs des cours anglaises.

La guitare renaissance

Guitare renaissance

La guitare renaissance est décrite par Bermudo comme une vihuela dont on a retiré le premier et le dernier chœur. Munie de 4 rangs de cordes, ses possibilités sont plus limitées, ce qui en fait un instrument plus volontiers confiné à l’accompagnement, même si quelques pièces écrites sont conservées.
Si l’on ramène l’accord en mi on obtient mi-si-sol-ré, soit l’équivalent des quatre premières cordes de la guitare moderne.

Ces trois instruments partagent un répertoire constitué de divers types de pièces : mises en tablature de chansons, suites de variations (diferencias, glosas, diminutions), danses (pavane, gaillarde, branle, mauresque, saltarello, ballet…), pièces polyphoniques proches de l’esprit des chansons ou des madrigaux (ricercare, fantaisies).

L'EPOQUE BAROQUE, 17 et 18°siècle

Le style baroque, basé sur l’expression des passions, a exigé un accroissement des possibilités instrumentales. Le clavecin, plus simple à jouer, va y trouver un terrain fertile pour son développement, tandis que le luth et la guitare vont perdre leur importance et leur rang tout en donnant naissance à une littérature propre, souvent imitée par les autres musiciens (les clavecinistes notamment).

Les luths baroques

LUTH-BAROQUE

Luth baroque

Le luth va progressivement étendre son ambitus vers le registre grave : 10, 11 ou 13 chœurs selon les régions et les époques. On les répartira sur deux chevilliers (luth théorbé). On joue sur les 6 ou 7 premiers chœurs avec les doigts de la main gauche; les autres cordes sont pincées “à vide” et donc accordées de manière à former une échelle diatonique.
A l’accord typique de la Renaissance (sol-ré-la-fa-do-sol + les basses fa mi ré do…) succédera un nouvel accord très différent (pour le luth à 13 chœurs : fa-ré-la-fa-ré-la + les basses sol fa mi ré do si la).
En France, il y aura des dynasties de musiciens, les Gallot ou Gautier en plus des Dufault, Mouton… En Allemagne aussi, on trouve divers maîtres dont le plus important est sans doute Silvius Leopold Weiss qui serait à l’origine de la production luthistique de Jean-Sébastien Bach.

Parmi les instruments typiques de cette époque, il faut citer le théorbe, particulièrement réservé à la réalisation de basses continues. Il comporte 14 cordes simples réparties sur deux chevilliers (longueur des cordes : 80 cm et 120 cm). Il s’agit en fait d’un archiluth dont les deux premières cordes sont « ravalées », c’est à dire accordées à l’octave inférieure. Cela lui enlève donc le registre aigu et le confine plutôt à l’accompagnement. Toutefois, des virtuoses de l’instrument comme Kapsberger ou Piccinini en Italie ou de Visée en France lui ont confié des partitions solistes. Il existe d’autres instruments encore plus méconnus :

L'angélique

L’angélique, qui est une sorte de théorbe accordé entièrement de manière diatonique (c’est-à-dire note après note comme une harpe) et qui comportait jusqu’à 17 cordes.

Le colachon

Le colachon (ou colascione en italien) que l’on rencontre dans des représentations de personnages de la Commedia dell’Arte Polichinelle et qui n’est qu’un type de luth à très long manche.

Le cistre

Le cistre qui est un autre instrument à cordes métalliques dont la sonorité particulière trouvera des échos en Angleterre et au Portugal (la fameuse guitare portugaise).

La guitare Baroque

Guitare baroque – Barcelona

Comme le luth, la guitare va étendre, mais plus modestement, son registre vers le grave en s’adjoignant un 5e chœur. En Espagne (Sanz, Guerau…) ou en France (Corbetta, Campion, de Visée…), elle sera l’objet d’attentions de la part des amateurs, mais aussi des courtisans et des princes.
Louis XIV jouait de la guitare et, par son exemple, a entraîné une bonne partie de la cour de France. Le peintre Watteau a illustré cette guitaromanie avec beaucoup de bonheur.
Les musiciens ont d’ailleurs souvent adapté leur style de composition aux capacités techniques de leurs protecteurs : d’un jeu polyphonique complexe, la guitare s’est mise à être “battue” (comme la guitare d’accompagnement moderne) avant de retrouver un juste compromis entre les deux manières.

Les archiluths, théorbes et guitares

Les (archi)luths, théorbes et guitares ont été aussi des vecteurs des divers langages musicaux de l’époque baroque, depuis les toccatas et canzone italiennes du XVIIe jusqu’aux fugues et danses stylisées du XVIIIe, en passant par les « Tombeaux » ou couplets de «Folies d’Espagne».

LE CLASSICISME (1750-1830)

Un peu après 1750, le luth, victime des progrès du clavecin et du piano-forte avec lequel il ne pouvait rivaliser, se meurt en Allemagne; il ne retrouvera sa place auprès des musiciens qu’à la faveur du renouveau des instruments anciens de cette fin de XXe siècle.

La guitare, essentiellement aux mains des amateurs, continue, en marge de la grande tradition savante, à se développer. Elle gagne un 6e chœur, mais perd vite ses cordes doubles au profit des cordes simples. Désormais, sa forme, son accord et une bonne part de sa technique la rapprochent de notre instrument moderne. C’est le point de départ réel du répertoire, puisqu’il ne nécessite désormais plus aucune adaptation.

C’est le temps des virtuoses italiens et espagnols : Giuliani, Molino, Carcassi, Sor, Aguado…
C’est l’époque, en France, de la “guitaromanie”. On publie énormément de musique à l’intention des amateurs, des méthodes pour les débutants, des pièces virtuoses, des concertos et de la musique de chambre…

Quelques grands musiciens touchent la guitare : Carl Maria von Weber, Franz Schubert, Hector Berlioz, Niccolo Paganini, mais ne lui dédient guère de grandes pages. Le répertoire est surtout le fait des virtuoses déjà mentionnés qui “imitent” le langage des grands classiques. Ainsi Carulli, grand admirateur de Mozart dont il a d’ailleurs transcrit quelques opus pour son instrument, écrira-t-il un double concerto pour flûte et guitare (proche dans l’esprit de celui pour flûte et harpe). Les sonates, thèmes et variations, fantaisies, études, menuets font les beaux jours des salons et des académies de Vienne, Londres ou Paris.

LE ROMANTISME

Plus préoccupés de virtuosité que d’évolution du langage, peu de guitaristes relèvent réellement du romantisme. Chacun, de Luigi Legnani à Giulio Regondi cherche à briller et à se montrer à la hauteur des exploits techniques de Hummel, Liszt ou Paganini avec lesquels ils ne peuvent toutefois réellement rivaliser.
Il y a toutefois de notables exceptions, dont Caspar Joseph Mertz (1806-1856) qui, d’origine hongroise comme Liszt et vivant à Vienne comme Schubert, se laissera gagner par le nouveau langage, celui de Schumann et Mendelssohn. Jouant d’une guitare munie de basses supplémentaires, pour rivaliser avec la puissance nouvelle des pianos, il produira une musique de grande qualité même si une partie est le fruit d’un compromis avec des éditeurs préoccupés de conforter les goûts de leur clientèle.

Napoléon Coste trouvera aussi un ton nouveau plus riche que celui de son maître Sor et certaines de ses études – comme celles de Regondi redécouvertes récemment – évoquent des univers harmoniques proches de ceux des grands romantiques. Ils ne peuvent rivaliser avec ceux-ci sur les grandes formes, la guitare se révélant plus volontiers à son avantage dans des pièces brèves.

Un certain nombre d’instruments anecdotiques vont voir le jour tout au long de cette période de transition : la lyre-guitare la guitare-harpe… Ils ne survivront toutefois pas à la standardisation de plus en plus grande qui règne dans le monde de la facture instrumentale.

LA REVOLUTION TORRES

Antonio Torres Jurado

Barrage en éventail de TORRES

C’est dans la deuxième moitié du XIXe siècle qu’un luthier espagnol, ANTONIO DE TORRES va donner naissance à la guitare moderne. Elle sera le fruit de nombreuses innovations en matière de construction : barrage en éventail, proportions plus grandes. notamment. Il sera conseillé, soutenu et apprécié par des virtuoses qui lui donneront une réputation hors du commun. Julian Arcas collaborera à ces recherches et Tarrega, que beaucoup considèrent comme le père de la guitare moderne, jouera sur un de ses instruments. Après lui, un grand nombre de disciples ont diffusé les principes de son enseignement : Daniel Fortea, Miguel Llobet et surtout Emilio Pujol.

Après une période un peu obscure (à partir de 1840 jusqu’à l’émergence de cette nouvelle école espagnole), la guitare va désormais s’établir définitivement sur la scène des concerts, tout en restant comme toujours bien vivante aux mains des amateurs. Les musiques qu’on lui consacre sont désormais marquées d’une nouvelle manie, celle de la transcription : on adapte des répertoires issus d’autres instruments comme le piano et on s’intéresse même à la musique du passé.

Tarrega adaptera des œuvres de Bach, Schubert ou Mendelssohn. A l’image de compositeurs comme Granados et Albeniz dont il est le contemporain et qu’il adaptera à ses six cordes, il laissera aussi des pièces de genre, descriptives ou anecdotiques. Parmi celles-ci, il faut citer l’étude en trémolo « Recuerdos de la Alhambra » qui a connu une kyrielle d’adaptations pas toujours de bon goût.
Nantie de quelques bons pédagogues issus de cette école et de solides principes techniques, la guitare va, à partir du XXe siècle, conquérir une place au sein des sociétés de concerts et se construire un répertoire propre.

LE xx° siècle

Malgré une incessante recherche en matière de lutherie, la construction des guitares reste marquée en ce XXe siècle par la standardisation. Hormis l’introduction des cordes en nylon après la seconde guerre mondiale à l’initiative d’Albert Augustine, aucune innovation universellement admise n’est venue perturber l’évolution organologique. Ce qui a changé pourtant, c’est la perception de l’instrument, tant par le public, la critique, les instrumentistes et, surtout, les compositeurs.Diffusée par des interprètes de premier plan comme Miguel Llobet ou Andrés Segovia, la guitare s’est fait entendre et a suscité plus d’une œuvre par ce biais.

C’est la personnalité toute particulière d’un homme qui a fait admettre la guitare dans les salles de concert plutôt que dans les salons mondains, celle d’Andrés SEGOVIA (1893-1987). Autodidacte génial, à l’écoute des disciples de Tarrega qu’il a fréquentés, son jeu s’est vite imposé et sa quête d’un répertoire moderne original lui a fait solliciter de grands noms de la vie musicale : Moreno-Torroba, Villa-Lobos, Rodrigo, Ponce, Turina, Roussel, Milhaud, Castelnuovo-Tedesco et beaucoup d’autres moins connus.

Ces demandes furent à l’origine d’un répertoire moderne extraordinairement riche qui a longtemps constitué la base du répertoire guitaristique. La guitare classique aujourd’hui lui doit une grande part de sa reconnaissance. D’autres personnalités ont collaboré à cette assise de l’instrument. On ne peut oublier Narciso Yepes qui a diffusé assez incroyablement la guitare par une participation à la bande sonore du film Jeux Interdits. Il faut aussi évoquer Alexandre Lagoya qui, par une médiatisation parfois critiquable, a fait descendre la guitare dans le cœur de générations entières.

Il faut aussi parler des vagues successives (Bream, Williams, Ragossnig, les Frères Assad, Cotsiolis, Aussel et bien d’autres…) qui ont donné à la guitare un véritable avenir au sein de la musique de tradition savante. Ils sont désormais rejoints par les spécialistes de la musique ancienne qui ont remis au goût du jour les instruments du passé et ont permis aux amateurs de musique de découvrir des pans méconnus de la tradition occidentale.Les musiques qu’on lui consacre prennent toutes les couleurs des musiques de notre siècle, de la veine populaire ou nationale aux expérimentations les plus contemporaines.
Du « Concerto d’Aranjuez » de Joaquin Rodrigo (le concerto le plus joué au monde, tous instruments confondus) à la « Sequenza » de Luciano Berio, la guitare se pare désormais d’atours aussi variés qu’essentiels à la culture de « l’honnête homme ».

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